Orphelins

De Dennis Kelly

 

Mise en scène et chorégraphie Philippe Saire

Interprétation Valéria Bertolotto, Adrien Barazzone, Yann Philipona, un enfant

Dramaturgie Carine Corajoud

Lumière Eric Soyer

Scénographie Philippe Saire

Création sonore Jérémy Conne

Costumes Isa Boucharlat

Direction technique Vincent Scalbert

 

Direction administrative Christophe Drag 

Diffusion Olivier Talpaert & Romain Le Goff // En Votre Compagnie

 

Coproduction Arsenic - Centre d'art scénique contemporain, La Comédie de Genêve

 

Résumé

Montée pour la première fois en 2009, Orphelins entre en résonance avec le paysage socio-politique en de nombreux points qui restent toujours d’actualité  : montée du communautarisme, ressentiment de classe, assignation identitaire, déni, dépossession des classes moyennes… Le résultat n’a rien d’un essai pointu et tout d’un scénario de polar impeccablement ficelé.

La pièce, un huis clos, est un thriller psychologique sur fond de racisme ordinaire. Dennis Kelly sans cesse tourne et retourne le jugement porté sur la situation et les personnages, tantôt victimes ou bourreaux, compréhensifs ou complices.

Orphelins flirte avec le fait divers, démarre comme une comédie féroce dont les Anglais ont le secret, pour nous jeter peu à peu dans la tragédie.

Helen, qui attend son second enfant, passe une soirée en tête-à-tête avec Danny, son mari. Liam, le frère d’Helen, fait irruption couvert de sang et d’emblée ses explications sont confuses. Il aurait aidé un jeune étranger blessé sur le trottoir. Petit à petit, les faits apparaissent dans leur monstruosité raciste.

D’emblée Helen réagit avec ses tripes. Au nom des liens qui l’unissent à ce frère, elle veut le protéger et ne pas ébruiter l’affaire. Ce sont eux les orphelins du titre, ils ont perdu leurs parents et restent soudés malgré des vies qui n’ont pas emprunté les mêmes chemins. Elle est installée, avec travail, mari, enfant. Il est instable, a un casier judiciaire. Danny incarne d’abord l’homme raisonnable, il veut secourir le blessé, prévenir la police.

 

Dennis Kelly pose avec acuité la question de la force des liens familiaux  : peuventils primer sur la responsabilité civique  ? Helen doit-elle protéger son frère sans discernement  ? Les valeurs qui structurent la conscience peuvent-elle résister à cette confrontation au réel  ? Comment le sens moral se débrouille-t-il entre la logique filiale, les affects et les règles de la société ? Loin d’assener une leçon, l’auteur anglais glisse ces questionnements fondamentaux dans le crépitement des répliques, chauffé à blanc par la tension de plus en plus forte.

Ces interrogations intimes sont imbriquées dans des préoccupations sociales. Les personnages habitent une ville anglaise où la classe moyenne a le sentiment d’être déclassée, se sent menacée et où la méfiance gangrène les relations. Danny a été agressé récemment, il minimise ce fait avant d’être emporté lui aussi dans la spirale de la vengeance.

La question est de savoir jusqu’où Danny et Helen iront pour défendre Liam alors que les actions de ce dernier semblent de moins en moins accidentelles.

Orphelins ne propose pas de réponse toute faite, mais offre une conclusion terrifiante de solitude  ; les choix idéologiques ont creusé un précipice entre les êtres là où ils étaient censés les souder.

 

La question que pose Denis Kelly n’est pas «  Notre peur des étrangers est-elle fondée?  », mais plutôt «  Qu’est-ce que notre crainte des étrangers dit de notre identité ? ». C’est ce qui est mis en jeu ici, ce que la situation et son évolution révèlent d’une société.

Il y a, fondamentalement, la différence de castes entre Liam et Danny, avec Helen qui a réussi à s’extirper de l’une pour entrer dans l’autre. Cette tension traverse toute la pièce.

 

Peter Sloterdijk écrit :

« Les vainqueurs du capitalisme ne respirent pas l’air frais au sommet d’une colline qu’ils ont consciencieusement escaladée, mais existent plutôt à l’intérieur d’une maison chaude exclusive qui puise en elle-même ce dont elle a besoin de l’extérieur. Cet espace intérieur détermine tout. »

 

Ce sont des gens comme Liam et Helen, qui comprennent cette victoire des puissants, eux qui ont été victimes d’abandon familial et social et qui se sont miraculeusement retrouvés entre les murs et qui vont se battre pour leur droit à y rester. Ce sont les gens qui y sont nés comme Danny, qui ne comprennent pas la méchanceté de ces murs de verre, qui aiment à prétendre qu’ils peuvent les laisser s’effriter.

L’écriture, haletante et réaliste de Kelly, est partie prenante de tout le dispositif, elle participe à rendre le récit captivant et oppressant. Balbutiements, bouillonnements de mots, d’idées, de sentiments, langue viscérale, échanges violents et secs comme des couteaux, phrases tronquées, syncopées, refoulées, jamais finies, par bugs permanents et mots contournés. Car, pour Dany, pour Helen et pour Liam, comment nommer les problèmes sans crainte d’amalgamer, de stigmatiser, d’être pris au mot ?

L’intrigue semble tâtonner comme les personnages, alors que le spectateur est bel et bien entrainé dans un enchaînement précis de situations et de révélations.

Car la structure de pièce puise brillamment dans les principes du scénario, autre activité de Kelly. La construction maintient la tension d’un bout à l’autre, les révélations tombent à point nommé, les informations distillées au fil du temps trouvent leurs résolutions. Le terme de thriller employé fréquemment au sujet de cette pièce n’est pas usurpé, le suspense est maintenu jusqu’à la chute finale.

 

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